Albert Guerrier : Les artilleurs de Craonne
Ce tableau est resté en possession des descendants de l’artiste, formé à l’École des Beaux-arts de Clermont-Ferrand. Connu comme peintre paysagiste de la Limagne, il fut incorporé dans l’infanterie et combattit dans l’Aisne, au Chemin des Dames où il fut blessé.
Au début des années 1920, deux de ses toiles furent exposées au Salon des Indépendants. Celle-ci a sans doute dû faire partie de la 36e exposition du Salon, en 1925 ou 1926.
La représentation de cet attelage d’artillerie en marche permet de rappeler l’importance de la traction hippomobile pendant la Grande Guerre.
L’artiste a tenu à mettre en valeur l’effort nécessaire pour grimper la colline avec un canon de 75, d’un poids de 1.910 kilos, avec quatre chevaux seulement acheminés sur le front. Réglementairement, il y a six chevaux pour conduire une pièce, mais en fonction des pertes, l’effectif diminue. Sur cette représentation, les servants montent les chevaux de gauche. La voiture canon visible en bas à droite, consiste en un avant-train.
La deuxième voiture figurée à droite n’est pas liée à cette pièce et ne semble pas être une voiture réglementaire du train de combat affecté à chaque groupe d’artillerie : les deux chevaux dotés du harnachement réglementaire tirent une charrette de réquisition ou un moyen de transport de fortune. Constatons qu’il n’y a pas de caisson à munitions sur ce tableau : sans doute est-il à l’arrière-plan et comme pour les autres attelages, la montée de cette colline sera ardue.
Le canon de 75, « bon à tout faire », est indiscutablement le meilleur de tous les canons existants durant le conflit : il fait l’objet d’un engouement populaire dans le cadre des journées de bienfaisance et la propagande l’utilise sur tous types de supports. Sa portée n’est-elle pas trois fois supérieure à celle des canons étrangers de calibre avoisinants ?
Le titre communiqué par le donateur de ce tableau « Les artilleurs à Craonne » est en lien avec l’expérience de guerre de l’auteur qui traduit de façon précise le groupe de chevaux, les pièces d’artillerie mais aussi le réseau des barbelés démantelé. Pour rappeler le contexte guerrier, un cadavre gît à gauche au milieu des piquets, sans doute un Allemand.
L’importance du nombre des chevaux et des hommes pour mener cet attelage rend compte de la difficulté d’approvisionner une pièce sur le champ de bataille. Les six hommes, outre le chef de pièce qui dirige les opérations, pouvaient tirer jusqu’à vingt-huit coups en une minute, à condition de pouvoir recharger rapidement en effectuant une noria pour alimenter la batterie de tir depuis le dépôt se trouvant à quelques kilomètres à l’arrière.
Le canon de 75 (calibre de 75 mm, modèle 1897) réputé pour sa précision, son chargement rapide et sa stabilité, est la plus fameuse pièce d’artillerie de campagne de l’armée française, dotée en 1914 de tous les derniers perfectionnements.
Ce tableau offre la possibilité de rappeler l’omniprésence des équidés près du front : côté français, un million furent impliqué, soit presque un cheval pour deux soldats. Si en juillet 1914, l’intégralité des régiments d’artillerie de campagne est hippomobile, à l’armistice, 80 % le sont encore, tout comme 70 % des régiments d’artillerie lourde. L’attachement des hommes aux chevaux dont ils ont la charge est évoqué par de nombreux témoignages de combattant, car il s’agit de partager la vie de l’animal nuit et jour, de le nourrir, de le soigner, de le sauver autant que le permettent la boue, les intempéries et la violence de tirs. La déshumanisation des combats place sur un pied d’égalité l’homme et l’animal, dont la mort est souvent vécue comme prémonitoire de la sienne propre.
A tout prix, il faut avancer pour installer la pièce afin d’atteindre les lignes ennemies (jusqu’à 8.000 mètres environ) et cette composition révèle combien la mission peut être périlleuse.
Huile sur toile
73 x 98 cm
Collections Historial de la Grande Guerre