Les podcasts des médiateurs
Série : Halloween
Épisode 2
Par Jade
Par Jade
Les cloches de l’Abbaye de Westminster et de Big Ben sonnent, il est 6h du matin à Londres le 26 avril 1917.
La Grande Guerre fait rage depuis trois ans. Les tranchées s’enfoncent dans la boue, les corps s’amoncellent, et l’odeur de mort plane sur les champs de bataille. Les journaux du Times et du Daily Mail sont distribués aux premiers passants et la Une qui y figure dépasse toutes les horreurs connues et traumatise l’opinion publique.
Elle parle d’une usine. Une usine monstrueuse, dissimulée dans les forêts de Prusse. Un lieu où les morts ne reposent pas… mais sont transformés. On l’appelle le littéralement : « l’usine de transformation des cadavres. »
Ces deux journaux affirment que l’armée allemande transporte les corps de ses propres soldats morts sur le front jusqu’à une usine secrète. Là, d’immenses chaudières bouillonnantes réduiraient les cadavres à l’état de graisse. Graisse qui servirait à fabriquer du savon, des bougies, des lubrifiants pour les armes et les machines de guerre. Les os, broyés, seraient utilisés pour produire de la poudre fertilisante ou même pour nourrir le bétail.
Rapidement, les autres pays alliés reprennent l’histoire. En France, le récit de propagande britannique, orchestrée par le Wellington House est diffusé par la presse : on parle d’une « usine à cadavres ». Symbole ultime de la barbarie allemande car depuis 1914, les Alliés dénoncent les atrocités allemandes en Belgique : massacres de civils, viols, destructions de villages.
Mais en 1917, il faut aller encore plus loin. L’idée que les Allemands ne respectent même plus leurs propres morts choque profondément. Cela transforme l’ennemi en monstre, en être inhumain. Une guerre industrielle qui recycle même la chair humaine.
Le mot allemand « Kadaver » est ici au coeur du malentendu. En allemand, « Kadaver » désigne plutôt une carcasse animale, et non un cadavre humain. Or, l’Allemagne, soumise au blocus maritime britannique, a bien mis en place des usines de recyclage de carcasses animales pour produire des graisses indispensables à son industrie.
Mais la rumeur a déformé cette réalité et les animaux sont devenus des soldats.
Après la guerre, en 1925, le gouvernement britannique dément enfin et reconnaît que l’histoire était fausse. Le Times lui-même admet qu’il s’agissait d’une rumeur sans fondement.
Mais il est déjà trop tard. Le mythe a laissé une trace durable.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis se souviendront de cette « usine à cadavres » inventée par la propagande alliée, pour dénoncer à leur tour les « mensonges britanniques ». Une ironie tragique face à l’exploitation industrielle des corps humains dans les camps de concentration et d’extermination nazis.
Aujourd’hui encore, cette fake news continue de hanter l’imaginaire.
On raconte que dans certaines forêts de Prusse, là où ces usines animales existaient vraiment, des habitants disaient entendre, la nuit, le grondement sourd de machines invisibles. Le cliquetis métallique des chaînes, l’odeur rance de graisse brûlée, comme si les chaudières n’avaient jamais cessé de fonctionner. Certains voyageurs prétendaient voir des silhouettes difformes, décharnées, errant entre les arbres, cherchant à échapper à l’usine fantôme. Des soldats sans visage, leurs corps tordus par la machine de guerre.
« L’usine à cadavres » n’a jamais existé. Mais l’ombre de ce mythe macabre plane encore.

